LETTRE D'OPINION : « Objectif emploi», c’est aussi notre objectif, mais…

Lettre ouverte / Pour diffusion immédiate

18 septembre 2015

« Objectif emploi», c’est aussi notre objectif, mais…

Le gouvernement du Québec propose d’introduire le programme Objectif Emploi en ré-ouvrant la loi de l’aide sociale. Ce programme obligatoire pour les nouveaux demandeurs visera principalement les jeunes. Il est, selon nous, voué à l’échec, car son caractère obligatoire viendra détruire tout l’aspect volontaire d’une démarche de reprise de contrôle sur sa vie. Une grande majorité des premiers demandeurs ne sont pas prêts pour l’instant à être dirigés vers une recherche d’emploi. Pour que ces jeunes trouvent un emploi, il faut s’y prendre autrement.

En effet, pour mon équipe de travail, ce programme vient en contradiction avec l’approche d’intervention préconisée dans une Auberge du coeur. Quand un jeune adulte cogne à la porte de la Maison Tangente, il a déjà épuisé toutes ses ressources, autant financières qu’humaines. Il est au bord du gouffre, l’estime de soi dans les talons et la confiance en l’avenir à moins mille sur le « confiance-o-mètre ». Devant aussi composer avec des problèmes personnels criants (conflits familiaux, pauvreté extrême, toxicomanie, santé mentale), ces jeunes arrivent à l’Auberge avec des besoins de base non comblés.Ces besoins primaires sont d’avoir un endroit sécuritaire où ils peuvent se laver, manger trois repas par jour (et plus), dormir, être en sécurité et avoir un port d’attache. Et c’est ce que nous leur offrons : un accueil sans jugement, de la chaleur humaine, du temps pour qu’ils puissent se reconstruire et prendre soin de la personne la plus importante : eux-mêmes. Bien que largement insuffisant, le revenu de dernier recours permet cette pause.

Pour plusieurs d’entre eux, la route vers une réintégration sociale sera longue. Ils prendront soin d’eux, ensuite, commanderont leurs pièces d’identité, entreprendront des démarches de santé physique et/ou mentale, feront une demande à l’aide sociale pour avoir un petit revenu de survie qui leur permettra de se déplacer, de couvrir les frais de médicaments, de s’acheter quelques vêtements. Ces jeunes en grande souffrance ont un besoin auquel nous répondons, celui de leur permettre d’obtenir à leur rythme et dans le respect de leur dignité les acquis qui les aideront à repartir vers l’avenir. Nous prenons aussi le temps d’explorer les possibilités qui s’offrent à eux. Ces moments où ils se dévoilent, où ils nous parlent de ce qu’ils aiment, de leurs rêves et de leur aspiration face à l’avenir, les aident à se faire un plan de match et à mettre en place les étapes qu’ils devront franchir pour y arriver.

Nous craignons que ce programme soit synonyme d’un autre échec pour ces jeunes adultes, qui en ont déjà vécu plusieurs, d’une nouvelle atteinte à leur confiance, à leur estime, à leur motivation. Sont-ils capables de réintégrer le marché de l’emploi ou un parcours scolaire? Oui! Sont-ils capables de le faire sous le signe de la réussite? Oui! Mais ils doivent le faire de manière volontaire, quand ils ont la force et l’énergie d’entamer un nouveau projet. Le risque de pénalités qui seront certainement imposées en cas de refus de participation à Objectif Emploi viendra simplement fragiliser encore davantage ces jeunes adultes déjà au bord de la cassure. Ilsont besoin qu’on soit présent pour eux, qu’on accepte d’avancer à leur rythme, qu’on croie en eux.

Le programme Objectif Emploi s’appuie sur le principe que les services en employabilité sont suffisants. Seulement cinq millions de dollars sont prévus comme investissement. L’offre de programme sera-t-elle bonifiée? Non. Le problème qui se pose alors est l’insuffisance et le manque de diversité des possibilités offertes.

Entendons-nous. Plusieurs des programmes en employabilité sont de PRÉCIEUX partenaires pour les organismes comme les nôtres. Ils sont adaptés, répondent aux besoins multiples et aux défis que présente la réinsertion sociale des jeunes en difficulté. Ces programmes sont très en demande, mais aussi débordés et certains jeunes peuvent attendre jusqu’à six mois avant d’avoir une place. D’autres programmes sont beaucoup moins adaptés et mettent les jeunes adultes en situation d’échecs répétés. Il faudrait donc que l’offre des services en employabilité soit revue et diversifiée. Mais surtout, qu’ils puissent continuer à travailler avec des personnes volontaires prêtes à s’engager et à regarder vers l’avenir lorsqu’ils et elles sont prêtes.

Finalement, les intervenants du milieu reprochent aux programmes de retour aux études de diriger les jeunes adultes vers un programme de DEP, le chemin le plus court vers le marché de l’emploi .Impossible pour une personne n’ayant d’autre revenu que l’aide sociale d’être soutenu pour terminer son secondaire général. Mais qu’en est-il des rêves de carrières de ces jeunes? N’ont-ils pas droit eux aussi de viser une carrière d’architecte, de travailleur social ou de médecin?

En gardant les programmes tels qu’ils sont, Objectif Emploi échouerait à garantir l’égalité des chances et enverra un message que ces jeunes adultes ont déjà bien compris : « je ne te crois pas capable de faire tes propres choix, une autre personne doit prendre les rênes de ta vie et brandir des menaces ». Le gouvernement est prêt-il à donner la même chance à tous les jeunes, indépendamment de leur situation socioéconomique? À la vue de cette initiative, nous en doutons!

Marie-Noëlle Perron

Coordonnatrice, Maison Tangente, une Auberge du coeur qui accueille des jeunes de 18 à 25 ans

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