Lettre d'opinion : Il y a urgence d'agir pour les jeunes en difficulté
Au moment où la Commission Charbonneau projette une image terriblement déprimante d’un Québec du chacun pour soi, le danger est grand que nos urgences se réduisent à la lutte à la corruption et la chasse aux coupables. Au-delà de la colère, nous devrions également tirer une certaine fierté collective d’oser regarder et nous attaquer de front à un problème qui dépasse largement nos frontières et, qu’ailleurs, on nie encore.
Pendant que nous faisons un ménage nécessaire, d’autres défis nous interpellent tout autant et qui nécessitent la même urgence et la même détermination.
Par exemple, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes sont exclus ou s’excluent de l’effort collectif nécessaire pour que le Québec demeure une société dynamique. Au même moment, sa population vieillit et une grande part de ses forces vives quitte pour la retraite. Si la jeunesse constitue le capital d’espoir d’une société, que faire lorsque tant de jeunes perdent eux-mêmes espoir?
Les manifestations de cette exclusion des jeunes sont nombreuses : décrochage scolaire, ruptures familiales, pauvreté, violence, toxicomanie, itinérance, détresse, isolement, exploitation sexuelle, etc. Souvent, ils cumuleront plusieurs problématiques constituant alors un casse-tête qui laissent plusieurs perplexes.
De tous temps, il y a eu de ces jeunes qui partaient défavorisés sur le marché de l’emploi mais la marche était moins haute pour y accéder. Depuis, l’industrie manufacturière déménage ses pénates vers les économies émergentes, les emplois susceptibles de soutenir une vie « juste normale » exigent toujours plus de compétences. C’est l’économie du savoir, la culture de l’excellence.
La Première ministre Marois soulignait dans son discours inaugural que : « Le Québec doit miser sur sa jeunesse, l’écouter, l’accompagner, lui ouvrir des portes. ». Elle ajoutait plus loin : « La solidarité passe aussi par l’appui que nous offrons aux jeunes les plus vulnérables de notre société ». Si l’État peut et doit faire davantage, il y a là aussi un appel à une large mobilisation dépassant les lignes de partis, les classes sociales et les générations.
Une solidarité à construire avec les jeunes précarisés
Il est possible de raccrocher ces jeunes. En 2007, une étude démontrait qu’une approche fondée sur la recomposition des liens sociaux telle que développée dans les Auberges du cœur augmentait la capacité d’agir de ces jeunes dans une démarche à plus long terme à partir d’objectifs qu’ils se donnent dans le respect de leur rythme et de leur potentiel. Les 29 Auberges du cœur du Québec accueillent environ 3000 de ces jeunes chaque année mais doivent en refuser davantage encore faute de places et de moyens.
Dans son ouvrage, « Les Auberges du cœur : l’art de raccrocher les jeunes », la journaliste indépendante Ariane Émond donne maints exemples de la mobilisation des communautés autour de ces organismes afin de développer des projets favorisant la participation sociale. Cet apport permet de changer des vies et de construire une société et des collectivités dynamiques plus justes, plus inclusives et plus solidaires. Il y a là une réponse puissante qui permet de recoudre le tissu social et de contrer le cynisme et le sentiment d’impuissance.
Mais, sans plus tarder, il faut faire davantage. Nous n’avons plus les moyens de perdre autant de jeunes. Les ressources existent et doivent être mobilisées.
L’État doit améliorer le soutien aux jeunes et aux organismes du milieu. On doit cesser de bourrer ces jeunes de pilules, dont le prix financier et social est énorme, pour favoriser le développement de la capacité d’agir et des compétences sociales. De même, il doit permettre un meilleur accès à de vraies formations qualifiantes. Tous les jeunes qui le souhaitent devraient pouvoir bénéficier d’un soutien financier pour terminer leurs études secondaires et apprendre un vrai métier. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Certaines régions du Québec n’arrivent plus à remplacer les travailleurs qui quittent pour la retraite, les entreprises devront s’impliquer davantage dans la formation et assurer des emplois de qualité aux jeunes plutôt que de chercher uniquement à profiter des programmes de stages pour épargner sur les salaires.
Enfin, le Québec est en train de perdre un énorme bassin de savoir, de compétences et de ressources par la mise à la retraite de dizaines de milliers de travailleurs. Plusieurs d’entre eux quittent désabusés. On leur a demandé au cours des dernières années de gérer la décroissance et de contrôler plutôt que de créer et d’innover. C’est justement d’innovation et de création dont on a le plus besoin aujourd’hui. Ces capacités se retrouvent dans toutes les générations et dans toutes les couches de la société, il y a urgence de leur mise en commun, d’un espoir partagé. C’est seulement ainsi que nous pourrons relever les défis de demain et qui concernent chacun d’entre nous.
Rémi Fraser, directeur général
Regroupement des Auberges du cœur du Québec
racq.aegir.koumbit.net
*Lettre d’opinion envoyée aux grands médias nationaux écrits
le 12 novembre 2012