Que nous dévoilent les résultats du dénombrement des personnes en situation d’itinérance?

 

Regard sur l’itinérance jeunesse

Johanne Cooper, directrice de la Maison Tangente et présidente du Regroupement des Auberges du cœur du Québec.

Rendus publics la semaine dernière, les résultats du dénombrement nous indiquent qu’en date du 24 avril 2018 il y avait 5 789 personnes en situation d’itinérance visible au Québec, dont 1 563 avaient moins de 30 ans. Ceux-ci représentent 27 % de la population totale recensée. Les jeunes mineurs font aussi une présence remarquée avec 6 % de la population touchée par l’exercice.

De nombreux acteurs du milieu ont questionné, avec raison, la pertinence et la validité des chiffres dévoilés. Le dénombrement constitue en effet un outil trop imparfait pour mesurer l’ampleur et l’aggravation du phénomène de l’itinérance et ne devrait donc pas être utilisé pour évaluer l’impact des programmes et des interventions en la matière.

Cela dit, il n’y a pas que des chiffres dans le volumineux rapport. Le volet qualitatif sur les profils et les besoins des personnes en situation d’itinérance contient des renseignements intéressants, notamment sur les réalités qui caractérisent l’itinérance jeunesse.  

Nous y apprenons que malgré leur jeune âge, plus du tiers des jeunes dénombrés avait été en situation d’itinérance depuis 5 ans ou plus, alors que plus du quart l’avait été toute l’année. Ces données nous indique que les visages de l’itinérance dite « chronique » rajeunissent et combien les mesures de prévention actuelles ne sont pas à la hauteur.

Les résultats du rapport nous informent également que les jeunes étaient proportionnellement plus nombreux à avoir connu plus d’un épisode d’itinérance au cours de l’année. Ces chevauchements entre l’entrée et la sortie de l’itinérance illustrent le caractère mouvant et non linéaire des parcours des jeunes, largement marqués par des situations de précarité où plane constamment, à la moindre embuche, le risque de se retrouver à la rue. Or, cette réalité est occultée par les chiffres du dénombrement qui ne permettent pas de capter l’ampleur de l’itinérance cachée.

Par ailleurs, les jeunes étaient plus nombreux en proportion à avoir des revenus provenant d’un emploi. Ainsi donc, même en occupant un travail salarié, ces jeunes ne sont pas parvenus à se loger ni à combler leurs besoins fondamentaux. Facette bien réelle de la montée du précariat, ces jeunes payent le prix fort de la montée des inégalités socioéconomiques. Il est pressant d’agir en ce sens, notamment en assurant un contrôle des prix des loyers et en rehaussant significativement le salaire minimum.

Toujours selon le rapport, les personnes dénombrées de moins de 30 ans étaient moins enclines à fréquenter une ressource d’hébergement d’urgence et les centres de jour. Elles sont proportionnellement plus nombreuses dans les ressources de transition offrant un milieu de vie et de socialisation. Cette préférence pour ce type de ressources témoigne de la capacité qu’ont les maisons d’hébergement jeunesse à adapter le rythme de l’intervention à celui des jeunes, tout en travaillant dans une perspective d’affiliation visant à créer un sentiment d’appartenance. On estime pourtant que ces groupes reçoivent à peine 45 % du financement nécessaire pour accomplir leur mission.

Enfin, le profil des jeunes dénombrés nous indique qu’ils étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir perdu leur logement en raison d’un conflit, notamment avec un parent ou tuteur. Ce constat illustre toute l’importance d’agir davantage en prévention, notamment auprès des jeunes mineurs et de leurs familles.

Ces quelques pistes pour mieux répondre aux besoins des jeunes en situation d’itinérance nous rappellent l’urgence d’agir et la nécessité de rehausser les efforts gouvernementaux. À cet égard, le deuxième portrait de l’itinérance au Québec attendu pour 2020, dont les résultats du dénombrement sont un premier volet, est censé guider le développement du prochain Plan d’action interministériel en itinérance. Or, les attentes sont très grandes, considérant que le plan d’action actuel a été retardé dans sa mise en place et n’a jamais réussi à véritablement mobiliser l’ensemble des ministères signataires, ce qui a largement limité sa portée et son déploiement.

Afin que « tout le monde compte » véritablement, le gouvernement doit s’engager sérieusement en prévention et en réduction de l’itinérance. Les Auberges du cœur seront au rendez-vous.