Réaction - Inconfort et itinérance
LETTRE D’OPINION – Version longue
16 septembre 2014
«Inconfort et itinérance»
La quête d’une solution durable pour lutter contre l’itinérance
Par Johanne Cooper, présidente du Regroupement des Auberges du cœur du Québec et directrice de la Maison Tangente qui accueille des jeunes âgés entre 18 et 25 ans
Nous aimerions défaire certains mythes véhiculés dans l’article «Le confort et l’itinérance ou Fermer des refuges pour vaincre l’itinérance» (La Presse, 15 septembre 2014). Selon nous, il serait faux de croire au maintien du cycle de l’itinérance par le confort, la gratuité et l’accessibilité à des ressources. En effet, l’article dépeint un portrait de l’itinérance avec une lunette particulière d’un homme qui expérimente cette situation dans un cadre préétabli, partiel et temporaire. S’en trouve ainsi oublié tout un pan de la problématique, soit sa durée dans le temps, les différentes situations d’itinérance, les causes structurelles et sociales ainsi que la situation des femmes, des autochtones, des jeunes, etc. De plus, « confort », « gratuité », « oasis », «hôtels 5 étoiles» sont autant de mots imagés qui invitent les lecteurs à croire que l’itinérance est un mode de vie facile. Pourtant il n’en est rien.
Sans être des refuges à proprement parler, les 28 Auberges du cœur hébergent et accompagnent plus de 2500 jeunes de 12 à 30 ans chaque année en hébergement et en post-hébergement, dont un certain nombre vient directement de la rue. Une approche éprouvée depuis plus de 25 ans et qui permet la prévention et la sortie de l’itinérance.
C’est avec fierté que les Auberges offrent un milieu de vie confortable et sécuritaire aux jeunes sans abri ou en difficulté qui frappent à leur porte. Il s’agit de montrer au jeune que nous le reconnaissons comme personne à part entière, digne de respect et de considération. Il reste que ce «confort» est bien relatif quand on pense qu’il y a des organismes qui peinent à garder leurs portes ouvertes, qu’il y a des règles à suivre, des couvre-feux à respecter, des démarches à faire, une cohabitation avec un groupe de personnes qu’on n’a pas choisi, des intervenants qui aident et encadrent la vie au quotidien.
Dans la majorité des Auberges, une contribution financière est demandée aux jeunes. Toutefois, un jeune ne sera pas refusé s’il n’a pas d’argent, car plusieurs arrivent chez nous sans revenu. On leur offre alors des outils, un accompagnement pour envisager le difficile parcours vers une réinsertion sociale. Rappelons que l’itinérance est le résultat d’une suite d’exclusions. Cette « gratuité » et ce « confort » sont des conditions de base qui permettent d’assurer un lendemain et trouver l’énergie pour se relever et entamer des démarches de réinsertion. N’est-ce pas là le signe d’une société humaine et solidaire?
Nous souhaitons également défaire le mythe qui sous-entend que les ressources pour les personnes itinérantes «entretiennent» celles-ci dans le « circuit » de l’itinérance avec ses soi-disant « escales » qui serait des «oasis» et des «hôtels 5 étoiles». La (sur)vie en situation d’itinérance n’est pas un « circuit ». Les différents parcours sont complexes (situationnels, épisodiques, chroniques) et il a été plusieurs fois démontré que briser la spirale de l’itinérance nécessite des approches adaptées aux besoins de chacun. L’un veut s’attaquer à ses problèmes de consommation de drogues, l’autre désire retourner à l’école, le troisième se cherche un emploi, mais, tous cherchent des lieux d’appartenance à partir desquels ils pourront reconstruire leur confiance en eux et réaliser leurs rêves.
À titre d’exemple, les jeunes hébergés dans les Auberges du cœur ont souvent peu d’expérience dans la vie en logement. Durant leur période d'hébergement temporaire, ils travaillent à atteindre une stabilité socioprofessionnelle et font des acquis qui leur permettront, par la suite de partir dans un logement correspondant à leurs besoins et à leurs moyens et d'y demeurer de manière permanente, en recevant ou non un accompagnement et en gardant un lien avec l’Auberge qui devient un point d’ancrage.
Mais il y a aussi derrière le phénomène de l’itinérance, toute une réalité sociale qui est occultée dans l’article. De la difficulté d’avoir un revenu décent aux obstacles pour trouver un emploi, en passant par le difficile retour aux études et l’éternel défi de trouver un logement abordable, les parcours des personnes itinérantes sont aussi le résultat de problèmes structurels et sociaux. Combien faudra-t-il de mobilisations pour obtenir plus de logement social ? Pour un contrôle des prix des loyers ? Pour une aide sociale qui couvre les besoins essentiels ? Les causes qui amènent les jeunes et les moins jeunes dans la rue sont multiples et la société dans son ensemble doit comprendre qu’elle peut agir pour éviter que chaque jour de nouvelles personnes se retrouvent dans cette spirale.
La position qu’adopte Matthew Pearce, de la Mission Old Brewery, dans l’article de La Presse peut aussi être compris comme un cri du cœur, un plaidoyer pour une pluralité des ressources et davantage de moyens afin de lutter concrètement contre l’itinérance.
L’arrivée d’un plan d’action de lutte à l’itinérance est toujours très attendue après l’annonce d’une Politique qui reconnaît les multiples dimensions du problème. Il est impératif que le gouvernement soutienne le développement de pratiques diversifiées qui s’adaptent au besoin de chacun et proposent des solutions à des problèmes structurels récurrents.
Pour info :
Isabelle Gendreau
Coordonnatrice aux communications
Regroupement des Auberges du cœur du Québec
Cel. 438-390-3985
Isabelle.gendreau@aubergesducoeur.org
Le Regroupement des Auberges du cœur du Québec représente 28 maisons d’hébergement communautaires pour jeunes en difficulté et sans abri ou à risque de le devenir réparties dans dix régions du Québec. Les Auberges du cœur travaillent chaque année avec 2500 jeunes âgés entre 12 et 30 ans et doivent en refuser autant, généralement faute de places. Ces chiffres ne reflètent qu’une partie des besoins des jeunes itinérants ou à risque de le devenir pour le type d’hébergement et de soutien que nous offrons considérant les territoires où de telles ressources sont inexistantes. Au total, l’ensemble des Auberges du cœur offre plus de 300 places en maison d’hébergement et, plus de 150 autres places en appartements supervisés ou logements sociaux.